2021-22
On avait quitté Catherine Viollet lors de son exposition monographique Circulations en octobre 2021 à la galerie municipale Jean Collet à Vitry sur Seine. Elle y avait créé in situ une pièce monumentale piquetée au couteau ou au poinçon sur une surface murale enduite à la chaux. Regroupés en de multiples points de tailles différentes, les éléments qui la composaient étaient à la fois ordonnés ou dus au hasard du geste libre et surtout devenaient des signes insulaires.
Sa nouvelle série intitulée De la météorologie cartésienne aux chemins d’eau autour des remous maritimes qui sera présentée en juillet prochain (vernissage le 9 juillet) dans l’église Notre-Dame de la Haye à Descartes, en Touraine, en reprend la lignée par le dessin et le travail à la fraiseuse mais s’est enrichi d’un son. Catherine Viollet a fait pour ce travail une création à quatre mains avec le musicien et compositeur François Lucas.
Après des recherches sur les fonds marins autour de la littérature – Portrait du gulf stream d’Erik Orsenna ou Descente dans le maelström d’Edgar Allan Poe – ou de documents plus techniques sur les courants aquatiques, l’artiste a choisi de travailler sur du papier de fort grammage et de grand format qu’elle enduit dans un premier temps de deux couches d’acrylique de couleur bleue « presque Klein », ayant auparavant directement versé sur le papier de la pâte pigmentaire rouge ou jaune qui resurgira lors du travail final. S’y ajoutent parfois au terme de la création des pigments argentés versés presque accidentellement sur le support. Une fois le papier préparé, c’est avec une petite fraiseuse que Catherine Viollet crée l’œuvre : elle soulève la matière, la bouscule et grave ainsi une symphonie de signes parfois aléatoires lorsque la machine l’entraîne presque malgré elle. L’artiste fait surgir ainsi des figures luminescentes rappelant les fonds de mer ou leur imaginaire. Si le dessin reste très présent, les formes ne semblent plus vouloir obéir qu’aux dérives désordonnées du subconscient et sont comme animées d’une violence intériorisée. Les lignes se particularisent, se télescopent, l’une cède la place aux autres. Un vacillement s’opère autour des éléments marins et de ses profondeurs. L’œil alors lâche son point de fixité, sa zone d’ancrage pour se saisir de la tension de l’œuvre qui le précipite, le ralentit, le brusque même parfois.
C’est alors que la musique apparaît. Le chant de la fraiseuse, collecté pendant le travail de la peintre et bousculé à son tour par l’électro-acoustique, lutte et joue avec le hautbois et le saxophone, se lie aux gestes du musicien. Les sons circulent entre les œuvres, entretenus comme une respiration qui toujours se déploie.
Les phrases musicales, au contact des grands dessins, surgissent puis s’effacent et créent un espace qui s’ouvre, s’étire. La musique envahit celui qui l’écoute. Pas de construction logique entre les mouvements sonores et l’œuvre plastique, mais une belle alliance forte de vitalité et de lumière : le spectateur, par la magie de ce double chemin, suit un rêve qui renait sans cesse de lui même et met les sens en éveil.
Avec ce nouveau travail, Catherine Viollet propose deux niveaux de lecture – le son et le visuel – mais pour en saisir la cohérence, il faut les lire simultanément, avec le regard de l’intellect et celui du cœur.
Françoise Docquiert