Catherine Viollet Égypte

1984-86

Couronne
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Le désir de vieillir, 1985
Le désir de vieillir, 1985

Il est a priori inutile de justi­fier le désir d’al­ler apprendre et voir l’Egypte. Il serait vain aussi de cher­cher à défi­nir la richesse d’un espace qui impose sa logique à quiconque rencontre la repré­sen­ta­tion, même frag­men­taire, d’un de ses monu­ments. Les dessins manié­rés des voya­geurs du XIXe siècle ou la quadri­chro­mie d’une pauvre carte postale ont sur chacun de nous le même effet: l’Egypte dépose dans notre imagi­naire quelques-unes de ses pierres, laisse la trace de ses formes, ouvre une nouvelle profon­deur, spiri­tuelle, à notre appré­cia­tion de l’es­pace.

L’Égypte est un tropisme si fort qu’il faudrait réflé­chir plutôt aux raisons que nous nous donnons de retar­der toujours le rendez-vous que nous nous sommes accordé avec elle un jour de notre enfance. Cathe­rine Viol­let a tué cette attente et a gagné le temps, sept mois d’un séjour à Louq­sor, pour poser son regard sur ces lieux de pres­tige. Pour un artiste l’enjeu est de taille puisqu’en ces lieux, il s’aban­donne à la force d’une culture avec laquelle il ne peut songer à jouer vrai­ment. Ce face-à-face perdu d’avance explique peut-être la discré­tion des maîtres devant l’art égyp­tien. Le peintre orien­ta­liste est toujours peu ou prou un peintre perdu, tombé dans un abîme, dans un terri­toire trop large pour qu’un regard puisse l’or­ga­ni­ser et, pour un jeune peintre, les bas-fonds de New York semblent plus sûrs que la Vallée des Rois.

Il convient donc de penser le para­doxe et la logique qui coha­bitent dans cet élan qu’a eu un jeune artiste, femme, venant de conqué­rir une place enviable sur la scène de l’art contem­po­rain, qui un jour d’au­tomne et de FIAC s’en est allée et nous a adressé ironique­ment ses premières cartes postales.

Cathe­rine Viol­let est aujour­d’hui dans la situa­tion dont rêve tout jeune artiste : elle existe en tant que peintre, vit de sa pein­ture, une gale­rie accom­pagne son travail, une mono­gra­phie lui a été consa­crée et les turbu­lences média­tiques commencent à l’at­teindre. Beau­coup d’ar­tistes de sa géné­ra­tion dont la culture et l’ima­gi­naire sont instal­lés dans les « nouvelles images » pour­raient consi­dé­rer que l’es­sen­tiel est fait dans la marche que tout créa­teur accom­plit vers la recon­nais­sance. Certains, à ce stade et dans la logique de leurs travaux, obéissent à la néces­sité d’une aven­ture new-yorkaise, perçue aujour­d’hui comme le dévoie­ment néces­saire d’une trajec­toire artis­tique qui souhaite s’in­ter­na­tio­na­li­ser : New York, New Wave, New Images, autant de manières d’écrire et de réécrire les désuètes « Cent nouvelles nouvelles ». Cathe­rine Viol­let a pointé l’in­dex vers l’Orient: elle n’alour­dira pas les char­ters qui cherchent en un ailleurs le plus d’oc­ci­den­ta­lité possible, la consom­ma­tion fréné­tique des dimen­sions du marché de la pein­ture.

La déci­sion de Cathe­rine Viol­let ne parti­cipe pour­tant pas d’un aban­don passéiste et aveugle envers la culture. La mobi­lité de son travail et la nature récente de ses choix à l’in­té­rieur de sa pein­ture laissent clai­re­ment perce­voir une logique qui ne pouvait que rencon­trer ce que nous appel­le­rons l’évi­dence de l’Egypte.
Choi­sir cette desti­na­tion aux anti­podes de la culture et des habi­tudes de son milieu est le fruit d’un travail néces­saire qu’elle a accom­pli avec déter­mi­na­tion. En effet, la nais­sance de Cathe­rine Viol­let en tant qu’ar­tiste s’est faite dans une ambi­guïté redou­table : portée par la nais­sance d’un groupe appelé «Figu­ra­tion libre», elle a eu le diffi­cile privi­lège d’être l’énigme de ce mouve­ment. Peu nombreux furent ceux qui acce­ptèrent qu’une jeune femme médi­ta­tive vienne encom­brer l’image, par ailleurs si
commode, d’un groupe de jeunes garçons rieurs et icono­clastes. Ni son tempé­ra­ment, ni la propo­si­tion de sa pein­ture ne permirent à l’époque de trou­ver une solu­tion jour­na­lis­tique à la présence de Cathe­rine Viol­let qui assuma une exclu­sion douce hors de cette aven­ture.
La confu­sion aujour­d’hui n’existe plus, Cathe­rine Viol­let a éloi­gné ses ambi­tions et sa pein­ture hors de cette tour­mente.

Peut-être a-t-elle eu dans cette aven­ture le handi­cap et le privi­lège des femmes créa­trices qui, à l’image de George Sand, peuvent être fasci­nées par la fragi­lité des génies, mais savent aussi, lorsque la mala­die s’ag­grave, s’en­fuir avec le méde­cin trai­tant.

Cathe­rine Viol­let, dans cette période où sa pein­ture nais­sait, a su répondre par une patiente pratique de peintre par laquelle s’af­fir­mait toujours plus évidente, dans le choix des thèmes, des images, des posi­tions de la couleur, une recherche obsti­née de la profon­deur, de la réfé­rence. Les tableaux que nous voyons aujour­d’hui nous donnent l’as­su­rance que le monde de l’ar­tiste ne s’est pas brisé dans la fréquen­ta­tion de cette réfé­rence immense.
Le face-à-face avec une telle culture ne semble pour­tant que pouvoir fragi­li­ser celui qui s’y prête. Et le courage est là : devant la contrainte qu’exercent les formes, mais plus encore devant la cohé­rence qui secrè­te­ment les orga­nise, chacun se sauve comme il peut. Et les formes de salut ne sont pas infi­nies : l’uni­ver­si­taire choi­sira sa fuite, l’éru­di­tion; l’ar­tiste choi­sira sa résis­tance, l’exo­tisme et la scène de genre. Les peintres orien­ta­listes ont parti­cu­liè­re­ment excellé dans cette guérilla, asso­ciant dans la repré­sen­ta­tion du monu­ment une scène de genre, la silhouette d’un fellah, une cara­vane au repos, le col empesé de quelque touriste serrant contre son cœur l’au­réole de son cano­tier. Il s’agis­sait déjà de calmer des espaces pour mieux se les appro­prier. Au-delà de ces atti­tudes, Cathe­rine Viol­let dispose serei­ne­ment de la réfé­rence. En elle, nul désir de domi­na­tion, nulle crainte d’être domi­née. Les signes se posent sur sa toile comme sa couleur, avec calme. Mieux encore pour notre éton­ne­ment, la réfé­rence, sans jamais être réduite ni simpli­fiée, est entrée dans la logique inti­miste et déco­ra­tive qui est deve­nue para­doxa­le­ment au fil des expo­si­tions, l’au­to­rité de Cathe­rine Viol­let.

Regar­dons les figures. Elie Faure disait que l’art égyp­tien est sans doute le plus imper­son­nel qui soit. Et pour­tant combien de cruauté, d’hé­roïsme n’ima­gi­nons-nous pas sous ce hiéra­tisme, sous cette magni­fi­cence ? Dans la logique de l’in­tel­li­gence du regard d’Elie Faure, le peintre ici n’ac­croche à ses figures aucune subjec­ti­vité, aucune tenta­tion héroïque, souli­gnant l’une des véri­tés les plus profondes de l’art égyp­tien: aucune repré­sen­ta­tion, aucun signe ne vaut pour lui-même, ne se prête à la contem­pla­tion. Le signe ne vaut que dans son système. L’Oc­ci­dent, qui a parfai­te­ment compris cela de sa propre écri­ture, se trouble devant un système de signes qui fait appel au dessin, à la figure. Cathe­rine Viol­let a su faire en sorte que le cadre le plus occi­den­tal et le plus subjec­tif du regard, le tableau, ne s’ar­rête jamais vrai­ment devant l’image mais induise le parcours du regard.
Mais souvent aussi l’art égyp­tien semble échap­per à la froi­deur, à l’in­hu­ma­nité que nous sommes tentés d’as­so­cier à la notion de système, et le peintre saisit aussi cette dimen­sion plus inat­ten­due encore. Que les mains se joignent, que la sandale se soulève, qu’une poigne saisisse la cheve­lure de l’es­clave, que des doigts effleurent, qu’une griffe s’éloigne, qu’un dos se détourne et la frise héroïque rend ce qu’elle ne pouvait réel­le­ment dissi­mu­ler : les hommes dans leurs plus justes senti­ments, les animaux dans leurs plus sûrs instincts.
Cathe­rine Viol­let est à nouveau ici au cœur de sa pein­ture. Ce qu’elle a saisi d’un monde qui offre à tous sa complexité, c’est ce qu’il dit lui-même de son humi­lité. Dans la repré­sen­ta­tion, par exemple du corps de Nout, mère du Soleil, qui porte en elle la trajec­toire des astres, la cosmo­go­nie égyp­tienne repré­sente à la fois les deux hori­zons visibles mais aussi la limite de la compré­hen­sion humaine. Ce savoir affirme donc à la fois sa force et la limite de sa force, et cela seul garan­tit l’idée de sa sagesse. La force de la pein­ture de Cathe­rine Viol­let réside, depuis toujours, dans le contrôle constant des inten­si­tés qu’elle produit. Dans cette logique la compo­si­tion même des tableaux se veut profon­dé­ment anti­mo­nu­men­tale. Le peintre a choisi, devant des monu­ments qui ont fait se cour­ber les échines, de rester debout et de voir ce qui était à la hauteur des yeux. C’est elle, en fait, qui propose son module, l’échelle de son corps. Et cette propo­si­tion claire laisse comprendre ce qu’il en fut de la déam­bu­la­tion de l’ar­tiste, de la qualité de son parcours aussi, qui lui permit d’at­teindre avec les signes les plus forts, la fami­lia­rité. Ce regard abso­lu­ment fron­tal, sans plon­gée ni plan améri­cain, ni biais, ni angle, est plus qu’une trou­vaille, c’est une posture dans laquelle Cathe­rine Viol­let se défi­nit en même temps que sa pein­ture. Nulle part, nous dit-elle, elle ne sera étran­gère à elle-même; nulle violence ne lui sera faite, nul plai­sir ne lui sera refusé. Maîtrise et pléni­tude qui, au-delà du sujet et de la compo­si­tion, découlent entiè­re­ment de sa pratique de la couleur. Car en fait, tout ce qui n’est pas dit, pas vu, pas su dans cette repré­sen­ta­tion du décor égyp­tien n’est qu’une accep­ta­tion sans tragé­die du manque. Elle a dit d’un autre moment de sa pein­ture où elle se saisis­sait d’images de la nature : «En fait, l’idée était de trou­ver de vraies feuilles, mais ce n’était pas la saison, je les ai dessi­nées. Leur absence m’a donné mon geste.» Nous savons à quel point cette phrase aurait pu trou­ver sa traduc­tion dans une rêve­rie archéo­lo­gique. Les cultures couchées sous le chaos des ruines portent en elles ce manque dans lequel se loge le plai­sir infini de la contem­pla­tion.

Sur ce manque, cette bles­sure accep­tée, Cathe­rine Viol­let dispose les soins de la couleurs. Tableaux aux domi­nantes noires, réali­sés sur la terrasse de son atelier, plein ciel et domi­nant le Nil; néga­tifs de la lumière provoqués par la lumière. Tableaux aux domi­nantes vives où l’hom­mage à Matisse se pour­suit dans l’ate­lier pari­sien, tableaux qui reçoivent ces flocons de couleurs qui deviennent au fil des années la signa­ture de l’ar­tiste. Victor Hugo, effleuré un jour par une rêve­rie déli­cate, disait : «On dirige une balle, on ne dirige pas une plume.» Dans les tableaux de Cathe­rine Viol­let nous aurions tort de nous inté­res­ser à la trajec­toire de la balle : l’in­ten­sité ne se loge pas dans la réfé­rence. En revanche, les couleurs qui succes­sive ment se posent sur la toile nous laissent croire que l’ar­tiste a percé le secret de la trajec­toire des flocons, des duvets et des plumes.

Il n’y a à mes yeux aucune diffé­rence entre la situa­tion des jeunes plas­ti­ciens devant le concept de moder­nité, mori­bond, éclaté, et celle de tout homme contem­plant le réper­toire formel que propose le champ de ruines. Pour l’un comme pour l’autre, une fasci­na­tion indé­cise : celle que l’on éprouve à l’égard de la beauté défaite par le temps et par des forces sourdes; celle aussi que l’on entre­tient dans le para­doxe d’une imagi­na­tion qui jouit de la cassure et du frag­ment tout en savou­rant l’im­pos­sible désir de redres­ser les ruines en produi­sant, par une fulgu­rante réali­sa­tion de la pensée, l’érec­tion nouvelle de ces amas érodés.
Les jeunes plas­ti­ciens se meuvent trop souvent dans la nostal­gie d’une moder­nité mani­feste, posi­tive, provo­cante ou critique comme l’ar­chéo­logue pour­suit son lent travail d’ap­pro­pria­tion de la connais­sance en vue d’une restau­ra­tion. Les premiers n’ayant pas l’hu­mi­lité des seconds, ne cessent d’en appe­ler à la nouveauté de leurs pratiques alors qu’ils ne sont – et cela devrait leur suffire – que les archéo­logues de la moder­nité.
Cathe­rine Viol­let échappe à ce travers. Ayant fait suivre des images mythiques de la moder­nité – les stars – par l’ordre fou de la sculp­ture monu­men­tale sur les pas de Maillol, elle a plus récem­ment inter­rogé les civi­li­sa­tions, leurs restes et leurs manques avec la série des « Bali­naises » et des « Indiens ». Une exigence plus large de culture et de profon­deur l’a conduite à l’évi­dence de l’Egypte.

Égypte, évidence donc pour un peintre qui, accep­tant l’ordre de la monu­men­ta­lité, faisant plier cet ordre à l’ordre juste de sa pein­ture, semble dire dans une attente spiri­tuelle que, peintre et femme, sûre de ses couleurs, elle a accepté de vieillir.
L’au­then­ti­cité de ce peintre nous laisse comprendre que jamais sur son visage elle ne posera autre chose que le maquillage de sa pein­ture.

1985, Michel Enrici

La mort du troupeau

La mort du troupeau

Acrylique sur toile

1986

130 × 215 cm

La lionne blessée

La lionne blessée

Fusain, aquarelle et acrylique sur papier

1985

56 × 76 cm

La mort du troupeau

La mort du troupeau

Fusain, aquarelle et acrylique sur papier

1986

56 × 76 cm

Anubis

Anubis

Acrylique sur toile

1984

130 × 99 cm

Baboon

Baboon

Acrylique sur toile

1985

120 × 100 cm

Sans titre, carnets

Sans titre, carnets

Crayon, fusain, aquarelle et acrylique

1985

32 × 24,5 cm

Horus

Horus

Acrylique sur toile

1985

Fragment

Fragment

Acrylique sur papier

1986

76 × 56 cm

Sans titre, carnets

Sans titre, carnets

Crayon, fusain et aquarelle sur papier

1985

32 × 24,5 cm

Sans titre, carnets

Sans titre, carnets

Crayon, fusain et aquarelle sur papier

1985

32 × 24,5 cm

Sans titre, carnets

Sans titre, carnets

Crayon, fusain et aquarelle sur papier

1985

32 × 24,5 cm

Sans titre, carnets

Sans titre, carnets

Crayon, fusain et aquarelle, acrylique

1985

32 × 24,5 cm

Hatshepsout, carnets

Hatshepsout, carnets

Crayon, fusain et aquarelle sur papier

1985

32 × 24,5 cm

Sans titre, carnets

Sans titre, carnets

Crayon, fusain et aquarelle sur papier

1985

32 × 24,5 cm