Catherine Viollet Amphore et prisonnier

1986-88

Couronne
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Ces tableaux qui nous quittent, 1989
Ces tableaux qui nous quittent, 1989

Déjà, il y a un parcours de l’œuvre de Cathe­rine Viol­let, et si l’on en discerne bien les marques dans le temps propre à son élabo­ra­tion, déjà, depuis peu, la trame d’un proces­sus dans ce parcours affleure. C’est-à-dire que par la torsion inté­rieure impri­mée aujour­d’hui au parcours déve­loppé, le peintre révèle tout autant la prémé­di­ta­tion de ce qu’il a conçu jusqu’à présent que la néces­sité qu’il indui­sait ce faisant d’en venir aux tableaux décou­verts à l’heure actuelle

Par les moyens de la pein­ture le premier acte de l’œuvre nais­sante fut de situer ces moyens, de les inter­ro­ger et les maté­ria­li­ser au centre de la plus vaste chambre d’échos qui puisse être, celle de la culture. Prenant en ce sens toute sa géné­ra­tion, celle de la figu­ra­tion libre à contre-pied, Cathe­rine Viol­let dès ses premières tenta­tives, plutôt que de subir son époque en la signa­li­sant, travaillait selon la pente de ses goûts et de ses raisons à un parcours où gagner et parfaire sa propre ampli­tude émotion­nelle. L’émo­tion, le senti­ment, l’ef­fu­sion, valeurs qui ont été liqui­dées la plupart du temps par la volonté tech­nico-moder­niste au profit de la jouis­sance. C’est-à-dire l’ins­crip­tion
méca­nique et abso­lue de soi jusqu’a son évanouis­se­ment pour y parve­nir; la jouis­sance est une idéo­lo­gie de parve­nus, et de soumis­sion. Autre chose est l’émo­tion qui incor­pore le sujet a des degrés de déséqui­libre, des nuances de mélange, aux aléas des échanges, aux lisières indé­cises des trans­for­ma­tions.

Ainsi je vois la toute première partie de l’œuvre de Cathe­rine Viol­let, a l’en­seigne d’un appren­tis­sage exigeant de l’émo­tion quant à la culture; or d’émo­tion il n’en est de vraie que parve­nue au rivage du langage, en deçà, c’est-à-dire le soupir d’aise après une bouchée de plai­sir, ce n’est qu’ins­tinc­tuel et regarde la bête ou les fainéants, l’in­ar­ti­culé. L’ap­pren­tis­sage de l’émo­tion quant à la culture, ce devait être néces­sai­re­ment une batte­rie de gestes de forages dans le temps et dans l’es­pace en s’y frayant un loge­ment pour le passage d’un regard, le murmure d’une inter­pré­ta­tion, la dési­gna­tion timide et malai­sée de signi­fi­ca­tions aperçues. Ce fut un long voyage pour Cathe­rine Viol­let, semé de nombreux virages, et de haltes, pour y peindre. Et peindre était un vrai geste d’étude sur des motifs, c’est-à-dire sur des résis­tances déci­sives, des mystères inévi­tables, des noms, des sites, des dates sur lesquels le pinceau devait en quelque sorte se heur­ter et s’ap­puyer si le peintre voulait pour­suivre son chemin vers la mémoire retrou­vée dans l’en­ceinte de la ques­tion contem­po­raine de la culture. L’Egypte et les indiens améri­cains, Matisse et Mishima, Maillol et Pollock, parmi d’autres, voici les récifs où l’œuvre a pris pied, trouvé socle; par mariages, échanges et combi­nai­sons, voilà comment l’œuvre s’est éten­due entre les points d’ap­pui qui affleurent dans ce que nous voyons et entre beau­coup d’autres, immer­gés parfai­te­ment dans le geste de prise de parti­ci­pa­tion du peintre à l’ar­chi­tec­ture géné­rale des langages du monde.

Beau­coup de jeunes peintres aujour­d’hui en débu­tant leur œuvre cèdent à la jouis­sance d’en expo­ser la conclu­sion où ils dispa­raissent, cédant en réalité au fantasme d’une maîtrise suppo­sée de l’art et de la culture par le recy­clage médité ou incons­cient de gestes conclu­sifs anté­rieurs. Autre­ment diffi­cile est le travail de conce­voir sa propre genèse, de discer­ner les moyens néces­saires à l’éla­bo­ra­tion du dépla­ce­ment ondu­la­toire de sa propre émotion et de celle des autres.

La manière même de peindre qui a prévalu durant toute cette première période de l’œuvre de Cathe­rine Viol­let est en harmo­nie parfaite avec son projet. Par larges touches fluides, les couleurs croisent les lignes sans s’y borner, et l’on a le senti­ment d’un double frayage, d’une double vue, pour s’y tenir sur un bord celui de la ligne, serpen­tine et ellip­tique; mais aussi pour y déri­ver, par l’autre bord, la couleur en profu­sion, giclures, macu­la­tures ; et ceci encore, les grands sujets, en réserve, dans le péri­mètre de la ligne, mais touchés, et comme pronon­cés au centre d’un chahut de couleurs ou par le chant d’un chœur poly­chrome sur toute la fron­tière de ce qui s’in­carne sous nos yeux.

Une décen­nie presque de pein­ture mais en un seul geste de rassem­ble­ment du lieu, du péri­mètre où la pratique de la pein­ture devient la ques­tion de la pein­ture incor­po­rée à la stra­ti­fi­ca­tion géné­rale de la culture. Il s’est agi en quelque sorte pour Cathe­rine Viol­let de décrire métho­dique­ment sur quel fond instal­ler l’acte de peindre, et à quelles réso­nances elle asso­cie ce acte. Genèse néces­saire, histoire pleine de bruits et de fureur pour discer­ner progres­si­ve­ment le seuil où peindre se détache de toute fonc­tion narra­tive pour faire valoir sa fonc­tion essen­tielle de fron­tière entre visible et invi­sible. Et en regard de ces derniers tableaux, Cathe­rine Viol­let pour­rait reprendre la réflexion d Eugène Leroy sur son propre chemi­ne­ment: «Tout ce que j’ai jamais essayé en pein­ture, c’est d’ar­ri­ver à cela, à une espèce d’ab­sence presque, pour que la pein­ture soit tota­le­ment elle-même».

Car il ne s’agit plus que de cela dans les derniers tableaux de Cathe­rine Viol­let: d’une espèce d’ab­sence presque. Ou des seuils de discer­ne­ment. Après la pléni­tude et la maîtrise de l’iden­ti­fi­ca­tion directe asso­ciée à l’émo­tion qu’elle suscite, le cours du proces­sus a évolué vers un repé­rage gradué, mélangé des péri­phé­ries d’un centre absent. Vient un âge dans la vie du peintre comme dans la vie de quiconque où il est clair que dire, repré­sen­ter ou dési­gner n’est pas possé­der, mais bien la preuve du contraire, peindre ne repré­sente plus que l’ef­fort de se situer en face de la rupture interne du signe, sur la fron­tière où advient la possi­bi­lité d’iden­ti­fier, en même temps que l’inquié­tante étran­geté de l’abs­trac­tion du lieu où se forme le signe.

Ce qui faisait tableau, recon­nais­sance, séduc­tion, et propriété pleine dans l’œuvre de Cathe­rine Viol­let nous quitte inexo­ra­ble­ment. Impas­si­bi­lité tendue, imma­cu­lée des fonds vierges et sur cette promesse d’in­fini et d’aveu­gle­ment, en lisière, et quelle que soit l’adresse qui le déter­mine, un proces­sus de tâton­ne­ments sur les péri­phé­ries de figures de conte­nants. Nous sommes perdus sur des seuils, nous déam­bu­lons sur des lisières; je songe bien sûr à Bram Van Velde, mais je songe aussi aux jardins Zen vus aux alen­tours de Kyoto, que la vue soit la proie d’une inter­sec­tion dont le tableau se retire au profit d’une médi­ta­tion sur les signes du seuil où s’éta­blit toujours provi­soi­re­ment la dérive de l’émo­tion et le voyage de la pensée.

1989, B. Lamarche-Vadel

Le prisonnier V

Le prisonnier V

Acrylique sur toile

1987

140 × 105 cm

Les faces II

Les faces II

Acrylique sur toile

1987

130 × 97 cm

Sans titre

Sans titre

Acrylique sur toile

1987

142 × 104 cm

Grande amphore

Grande amphore

Acrylique sur toile

1988

140 × 110 cm

Amphore

Amphore

Acrylique sur papier

1988

114 × 76 cm

Sans titre

Sans titre

Acrylique sur papier

1987

100 × 70 cm

Le prisonnier

Le prisonnier

Fusain encre et acrylique sur papier

1987

92 × 61 cm

Vase canope

Vase canope

Fusain, encre et acrylique sur papier

1986

92 × 61 cm

Le prisonnier

Le prisonnier

Fusain et huile sur papier

1987

76 × 56 cm

Les Faces I

Les Faces I

Huile et fusain sur papier

1986

76 × 56 cm

Amphore

Amphore

Fusain, aquarelle et acrylique sur papier

1986

76 × 56 cm

Amphore

Amphore

Fusain, aquarelle et acrylique sur papier

1986

76 × 56 cm

Amphore

Amphore

Fusain, encre et acrylique sur papier

1988

76 × 56 cm

L'eau des masques

L'eau des masques

Fusain et huile sur papier

1988

76 × 56 cm

Amphore

Amphore

Encre et huile sur pâte à papier

1988

76 × 70 cm